Résumé
Dans Yvonne, Princesse de Bourgogne de Gombrowicz, Les Bonnes de Genet, La Maison de Bernarda Alba de García Lorca ou dans Roméo et Juliette de Shakespeare, les femmes travailleuses, gouvernantes, domestiques ou autres nourrices, sont souvent considérées comme « insignifiantes » et sans valeur sociale. Véritables personnages de l’ombre dans la fiction théâtrale, généralement annexes dans la fable dramatique, leur déclassement social favorise le mépris des personnages issus des élites. Jugés et représentés comme « laids », considérés comme d’une autre espèce, les personnages de travailleuses sont également rejetés et humiliés par la gent masculine qui ne tire, à leur vue, que peu de plaisir. Sans pouvoir prétendre au statut de personnages secondaires, ces femmes sont donc réduites à l’état de « tierces », exclues du monde des hommes, de celui des autres femmes, et donc de la « féminité ». Si la laideur, caractéristique socio-esthétique typique de la « tierce », signifie sa relégation, cela lui permet en partie d’échapper à l’assignation et de subvertir l’ordre dominant. Sa laideur peut la mettre à l’abri des grands drames de la fable lui laissant, à loisir, le temps de cultiver une pensée critique. Elle permet également d’opérer un trouble dans le genre afin d’interroger l’économie hétérosexuelle et dérégler les règles du genre, de la fable et de la représentation.
Citer
Andréa Léri, « Travailleuses et femmes du peuple au théâtre : des femmes laides et insignifiantes ? », dans Pagaille, n°2, « Les personnages de l’ombre dans la littérature et les arts », 2022, p.105–117. Url : https://revue-pagaille.fr/2022–2‑leri/