Rym Dufour-Dequidt, « Ce qu’engloutir veut dire. À partir des dévoreuses compulsives des Petites Marguerites(Vera Chytilova, 1966) et de J’ai faim, J’ai froid (Chantal Akerman, 1984) » (n° 4 | 2025)

Résumé/Abstract

Cet arti­cle souhaite éla­bor­er une étude com­parée à par­tir de deux films : le court-métrage J’ai faim, j’ai froid (1984) de Chan­tal Aker­man et la fic­tion expéri­men­tale tchèque Les Petites Mar­guerites (1966) de Vera Chytilo­va. Pour­tant thème triv­ial et anec­do­tique parce qu’il est lié au corps et à ses pul­sions, la nour­ri­t­ure est bel est bien con­duc­trice et cen­trale dans ces deux œuvres. Si Bril­lat-Savarin déce­lait une « philoso­phie du rien » à tra­vers l’é­tude du goût l’ap­pé­tence extrême des per­son­nages au sein de ces œuvres teinte les scènes de repas et la surabon­dance d’al­i­ments d’un dis­cours cri­tique, poli­tique ou intime. La nour­ri­t­ure est alors choisie comme un ter­rain prop­ice pour ruser en élab­o­rant une cri­tique du régime en place comme c’est le cas au sein des Petites Mar­guerites, réal­isé dans un con­texte social et poli­tique agité où la cen­sure se fait reine et qui précède l’in­va­sion des chars russ­es dans Prague en août 1968. Mais l’acte de manger est aus­si le lieu d’ex­pres­sion qui dit l’aver­sion ou la curiosité pul­sion­nelle pour le plaisir de la chair, corps et ali­ments s’en­tremêlant dans les deux œuvres étudiées. Les deux films présen­tent en écho des scènes qui impliquent une dom­i­na­tion exer­cée par des per­son­nages mas­culins qui, con­tre la satiété d’un repas offert, sup­posent pou­voir dis­pos­er du corps des femmes. Les deux cinéastes ren­dent ain­si com­plexe le rap­port à la nour­ri­t­ure face à une boulim­ie irré­press­ible et des corps féminins man­i­feste­ment trou­blés, por­teur de craintes, de mémoires, de reven­di­ca­tions et de pulsions.


This arti­cle is a com­par­a­tive study of two films : Chan­tal Aker­man’s short I’m Hun­gry, I’m Cold (1984) and Vera Chytilo­va’s exper­i­men­tal Czech fic­tion Daisies (1966). A triv­ial and anec­do­tal theme because it’s linked to the body and its impuls­es, food is the com­mon thread run­ning through these two works. If Bril­lat-Savarin detect­ed a “phi­los­o­phy of noth­ing” through the study of taste, the extreme appe­tence of these char­ac­ters with­in their works tint the meal scenes and the over­abun­dance of food with a crit­i­cal, polit­i­cal and meta-reflex­ive dis­course. Food is thus cho­sen as a pro­pi­tious field in which to devel­op a detour­ing cri­tique of the gov­ern­ment in pow­er, as is the case in Daisies, pro­duced in a tense soci­etal and polit­i­cal con­text, where cen­sor­ship was ram­pant, and which pre­ced­ed the inva­sion of Prague by Russ­ian tanks in August 1968. But the act of eat­ing is also an expres­sion of aver­sion to, or curios­i­ty about, the plea­sures of the flesh, as body and food inter­min­gle in the two works stud­ied. The two films echo sim­i­lar inter­ac­tions: scenes that involve an implic­it or explic­it trans­ac­tion of the car­nal against the sati­a­tion of a meal offered by a man. The two film­mak­ers thus ren­der the rela­tion­ship with food com­plex, in the face of irre­press­ible bulim­ia and obvi­ous­ly trou­bled female bod­ies, bear­ing fears, mem­o­ries, demands and impuls­es.
Citer
Rym Dufour-Dequidt, « Ce qu’engloutir veut dire. À par­tir des dévoreuses com­pul­sives des Petites Mar­guerites (Vera Chytilo­va, 1966) et de J’ai faim, J’ai froid (Chan­tal Aker­man, 1984) », dans Pagaille, n°4, « À la table des émo­tions: manger dans la lit­téra­ture et les arts », 2025, p. 119–128. Url : https://revue-pagaille.fr/2025–4‑dufour-dequidt/

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